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La Trajectoire de Réchauffement de Référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC)
Le dernier rapport du GIEC (AR6; IPCC 2021) a mis en avant une approche visant à documenter le climat de la planète pour différents niveaux de réchauffement. L’objectif est de décrire le climat dans un monde à un niveau de réchauffement donné, plutôt qu’à une échéance et pour un scénario d’émissions donnés. On parlera donc par exemple du climat pour un niveau de réchauffement planétaire de +2°C par rapport à la période pré-industrielle (Figure 1).
Figure 1 : Changement de température moyenne annuelle (°C) par rapport à 1850-1900 pour les niveaux de réchauffement planétaires +1.5°C (à gauche), +2°C (au centre) et +4°C (à droite). Source : AR6, Figure SPM5(b). Cette approche repose sur l’hypothèse selon laquelle, à un niveau de réchauffement planétaire donné, les changements climatiques, leurs impacts et les risques qui y sont liés sont les mêmes pour tous les scénarios d’émissions envisagés et indépendants du moment où ce niveau est atteint. De nombreuses études ont montré que, pour la plupart des variables climatiques, la réponse régionale à un niveau de réchauffement donné est cohérente entre les différents scénarios d’émissions. La cohérence est plus élevée pour les variables liées à la température que pour celles du cycle hydrologique (IPCC 2021, Cross-Chapter Box 11.1). Même pour les précipitations moyennes, les différences liées au choix du scénario dans la réponse à un niveau de réchauffement planétaire donné sont inférieures à l'incertitude liée aux modèles et à la variabilité interne (Herger et al., 2015). Cependant, pour les variables à réponse lente et à forte inertie, telles que les glaciers et le niveau de la mer par exemple, l’approche par niveau de réchauffement sans référence temporelle est peu pertinente, car la réponse dépend du moment où le niveau de réchauffement est atteint. L’intérêt de l’approche par niveau de réchauffement planétaire est aussi d’établir un lien direct entre les objectifs des négociations internationales (e.g., accord de Paris visant à limiter le réchauffement sous la barre des +2°C) et les impacts locaux en facilitant la comparaison des changements attendus par pays, par exemple au niveau européen. Elle permet aussi de restaurer une certaine cohérence entre les résultats des modèles individuels malgré des rythmes de réchauffement différents (e.g., un modèle CMIP6 est déjà à +2°C de réchauffement en 2022 alors qu’un autre n’atteint +2°C qu’en 2069). En raisonnant à +2°C de réchauffement planétaire, tous les modèles redeviennent pertinents pour décrire les changements climatiques correspondant à un tel réchauffement. La trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation de la France (TRACC) définie au printemps 2023 repose sur une approche par niveau de réchauffement planétaire. L’objectif est de fixer un référentiel pour les actions d’adaptation au réchauffement climatique, commun à tous les secteurs et territoires. Au vu des éléments fournis par le GIEC, trois niveaux de réchauffement ont été retenus : • un niveau de réchauffement planétaire limité à +1.5°C : Le réchauffement mondial de +1.5°C par rapport à l’ère pré-industrielle sera atteint dès le début des années 2030, sauf baisse drastique et immédiate des émissions mondiales ; • un niveau de réchauffement planétaire atteignant 2°C : La limitation du réchauffement mondial à +2°C est possible si de très fortes réductions d’émissions de gaz à effet de serre sont faites après 2030 et si la neutralité carbone mondiale est atteinte en deuxième partie du 21e siècle ; • un niveau de réchauffement planétaire atteignant 3°C : Ce niveau se situe entre le réchauffement auquel conduisent les engagements annoncés par les États (+2.8°C en 2100) et le réchauffement auquel conduisent les politiques mondiales en place fin 2020 (+3.2°C en 2100). Pour répondre aux besoins des acteurs de l’adaptation, les niveaux de réchauffement planétaire doivent être déclinés en termes d’impacts à l’échelle de la France. C’est l’objet de ce document, qui précise la méthodologie adoptée.
2.2 - Le jeu Explore2 - ADAMONT (RCP8.5)Les données utilisées correspondent aux 17 projections du jeu Explore2 - ADAMONT (TRACC DRIAS données), distribuées sur le portail DRIAS – les futurs du climat et issues du projet national Explore2. Elles ont été choisies pour répondre aux trois objectifs suivants : • être à haute résolution spatiale, permettant des diagnostics fins sur les phénomènes météorologiques locaux et leur évolution future ; • couvrir au mieux les incertitudes inhérentes à toute projection ; • être cohérentes avec l’analyse d’impacts hydrologiques (eaux de surface, eaux souterraines) produits dans le cadre du projet Explore2 et avec les changements attendus sur la France décrits par des ensembles plus larges tels que CMIP6. Pour assurer que l’ensemble soit constitué des mêmes simulations quel que soit le niveau de réchauffement ciblé, seules les projections pour le scénario de fortes émissions (RCP8.5) sont utilisées dans le cadre de la TRACC. Ce scénario a été choisi car c’est celui pour lequel le plus grand nombre de simulations sont disponibles (17 couples GCM/RCM), et le seul qui permet de traiter des niveaux de réchauffement planétaire élevés (+3°C notamment). Rappelons que l’approche par niveau de réchauffement repose sur l’hypothèse selon laquelle le scénario d’émissions influe peu sur les changements climatiques associés à un niveau de réchauffement donné. 2.2 - Les projections CMIP6 contraintes par les observationsPour la première fois, dans l’AR6, le GIEC a fait le choix de baser ses estimations du réchauffement planétaire attendu, non pas uniquement sur les projections climatiques, mais sur des combinaisons statistiques de modèles et d’observations (méthode dites de « contraintes observationnelles »). Des travaux menés à Météo-France ont consisté à proposer une nouvelle méthode statistique permettant de réaliser ce type de combinaison, et prenant en compte les simulations CMIP6 et l’ensemble des observations historiques (Ribes et al., 2021). Les résultats obtenus sur le réchauffement planétaire moyen indiquent une réduction importante de l’incertitude, et ont contribué à l’évaluation du réchauffement planétaire du GIEC (IPCC 2021, Section 4.3.4). Une application spécifique à l’échelle de la France métropolitaine suggère une révision à la hausse du réchauffement attendu dans le futur par rapport aux estimations basées sur les projections régionales (Ribes et al., 2022). À partir des données de la température moyenne planétaire (Ribes et al., 2021) et de la température moyenne France (Ribes et al., 2022), on peut estimer l’écart entre le réchauffement sur la France et le réchauffement au niveau planétaire. Celui-ci varie légèrement selon l’échéance temporelle autour de + 30 % à + 40 %.
À partir des projections climatiques globales, basées sur des modèles climatiques globaux (GCM), la correspondance entre le niveau de réchauffement planétaire et les impacts associés est immédiate : individuellement pour chaque simulation globale, on détermine la période de 20 ans au cours de laquelle le niveau de réchauffement planétaire par rapport à la période préindustrielle est atteint. On décrit ensuite le climat sur cette période à partir des différents indicateurs climatiques déduits de chacune des simulations globales individuelles. Les résultats finaux sont habituellement présentés sous formes probabilistes (médianes multi-modèles, produits de distribution). La déclinaison de l’approche par niveau de réchauffement planétaire pour des projections climatiques régionales (qui ne simulent le climat que sur une sous-partie de la planète) implique d’établir une correspondance entre les projections régionales et la température moyenne globale. Pour la TRACC, cette correspondance se fait via le niveau de réchauffement France. Il s’agit alors, pour chaque niveau de réchauffement planétaire : a) de déterminer le réchauffement sur la France correspondant au niveau de réchauffement planétaire fixé, b) d’identifier l’année à laquelle ce réchauffement France est atteint, c) de décrire le climat de la France sur la période de 20 ans centrée sur cette année. Dans cette approche, le rapport entre le réchauffement sur la France et le réchauffement au niveau planétaire est déduit des projections CMIP6 contraintes par les observations. Les données Explore2 - ADAMONT sont utilisées pour cartographier les indicateurs climatiques à haute résolution sur la France pour chaque niveau de réchauffement planétaire fixé.
Etape a)Cette étape repose sur les projections CMIP6 contraintes par les observations: • la série de température moyenne planétaire (Ribes et al. 2021), cohérente avec l’estimation du GIEC (IPCC 2021, Section 4.3.4), qui couvre la période 1850-2100. • la série de température moyenne France (Ribes et al. 2022) qui couvre la période 1850-2100. Elles indiquent que des réchauffements planétaires de +1.5°C, 2°C et 3°C par rapport à la période pré-industrielle (1850-1900) correspondent à des réchauffements France de +2°C, 2.7°C et 4°C par rapport à la période pré-industrielle (1900-1930)* (Tableau 1). * Du fait de la disponibilité des données d’observations utilisées pour contraindre les projections sur la France, la période pré-industrielle pour le réchauffement France correspond à 1900-1930. Notons que l’écart de température entre les périodes 1900-1930 et 1850-1900 est très faible (Ribes et al., 2022).
Pour permettre la correspondance avec les données Explore2 - ADAMONT, dans la mesure où celles-ci ne sont pas disponibles sur la première moitié du 20e siècle, le réchauffement France correspondant à chaque niveau de réchauffement planétaire est aussi exprimé par rapport à la période de référence 1976-2005 (période de référence utilisée sur le portail Drias - les futurs du climat). On trouve ainsi que les réchauffements planétaires de (Monde) +1.5°C, 2°C et 3°C par rapport à la période pré-industrielle (1850-1900) correspondent à des réchauffements France Métropolitaine (Fr-Met) de +1.4°C, 2.1°C et 3.4°C par rapport à 1976-2005.
Tableau 1 : Lignes 1: niveaux de réchauffement planétaire par rapport à la période pré-industrielle. Lignes 2 et 3 : niveaux de réchauffement correspondants sur la France métropolitaine par rapport à la période pré-industrielle et par rapport à 1976-2005 (d’après Ribes et al. 2021 et 2022).
Les deux étapes suivantes reposent sur les projections Explore2 - ADAMONT.
Etape b)Pour chaque simulation Explore2 - ADAMONT, on produit une série d’anomalies par rapport à 1976-2005 de température annuelle moyenne France lissée (on applique une fonction spline pour ne conserver que la réponse basse fréquence). On détermine l’année à laquelle cette série atteint le réchauffement France par rapport à 1976-2005 (par exemple +3.4°C) correspondant au niveau de réchauffement planétaire visé (+3°C) (Tableau 2). Etape c)Dans chaque simulation Explore2 - ADAMONT, on calcule les impacts sur la France sur la période de 20 ans autour de l’année déterminée à l’étape b) (Tableau 2). On dispose ainsi, pour chacune des 17 simulations Explore2 - ADAMONT utilisées, de cartes pour différents indicateurs climatiques (températures, précipitations, nombre de jours de chaleur… ) décrivant le climat d’une France dans un monde qui se sera réchauffé, par exemple de 3°C par rapport à la période pré-industrielle. Ces résultats sont aussi présentés en termes de changements (écarts ou écarts relatifs) par rapport à la période 1976-2005, période de référence utilisée sur le portail Drias - les futurs du climat. Pour synthétiser les résultats, des produits de distribution multi-modèles sont élaborés : pour chaque indicateur, on produit les trois cartes “médiane”, “borne inférieure” et “borne supérieure” indiquant respectivement en chaque point de grille la médiane, la valeur la plus basse, et la valeur la plus haute de l’ensemble des 17 projections Explore2 - ADAMONT.
Tableau 2 : Année à laquelle les niveaux de réchauffement planétaires 1.5°C, 2°C et 3°C sont atteints dans chacune des projections Explore2 - ADAMONT - RCP8.5. [ Période de 20 ans sur laquelle sont calculés les indicateurs ].
Herger, N., B.M. Sanderson, and R. Knutti, (2015). Improved pattern scaling approaches for the use in climate impact studies. Geophysical Research Letters, 42(9), 3486–3494, doi: 10.1002/2015gl063569. IPCC, 2021: Climate Change (2021). The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 2391 pp. doi:10.1017/978100915789. Ribes, A., Boé, J., Qasmi, S., Dubuisson, B., Douville, H., and Terray, L. (2022). An updated assessment of past and future warming over France based on a regional observational constraint, Earth Syst. Dynam., 13, 1397–1415, https://doi.org/10.5194/esd-13-1397-2022. Ribes, A., Qasmi, S., and Gillett, N. P. (2021). Making climate projections conditional on historical observations, Sci. Adv., 7, eabc0671, https://doi.org/10.1126/sciadv.abc0671. |
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